Publié le 2 décembre 2025 Dans Actualité scientifique

Ne pas oublier les incinérateurs

Un article de Valérie Levé, journaliste scientifique.


Il est notoire que l’Arctique est contaminé par du mercure et autres contaminants venus du sud. Mais, ce transport longue distance de la pollution ne doit pas occulter les sources de pollution locales comme les incinérateurs. Bien connue des communautés nordiques, cette pollution est encore très peu documentée par les études scientifiques. Julien Gigault, chercheur affilié à l’INQ et professeur associé au Laboratoire de recherche international Takuvik à l’Université Laval, a publié en 2024 dans Environmental Science & Technology une étude sur les nanoparticules issues des incinérateurs de l’Arctique, ouvrant ainsi un nouveau champ de recherche.

C’est la police qui a mis Julien Gigault sur la piste. Alors qu’il échantillonnait les eaux de la baie d’Ittoqqortoormiit au Groenland en quête de contaminants venus de l’océan, un policier du village lui a demandé de le suivre au village. Non pas que Julien Gigault fut fautif, mais le policier voulait lui indiquer une source de contaminations bien plus problématique : l’incinérateur du village. En fait d’incinérateur, il s’agit plutôt d’un conteneur où les déchets sont brûlés à ciel ouvert. Il faut dire que le pergélisol ne facilite pas l’enfouissement des déchets. « Avec les cycles de gels et dégels et le lessivage, des matières peuvent atteindre les eaux », précise Julien Gigault. De retour à Québec, il s’est enquis de la gestion des déchets dans les communautés du Nunavik et comme les déchets y sont aussi sommairement brûlés, il a planifié des échantillonnages complémentaires à Umiujaq.

Un panache de contamination

Des échantillons de neige et de sol ont donc été prélevés sur plusieurs km au vent et sous le vent du site d’incinération d’Umiujaq et d’Ittoqqortoormiit pour y déceler des contaminants. Plus précisément, Julien Gigault s’est concentré sur les nanoparticules métalliques et de plastique. Les analyses ont révélé du titane, du lanthane, du plomb, de l’arsenic, du cérium, du chrome, du zinc… sous forme d’oxydes ou d’alliages. Certains des métaux ressemblent à ceux contenus dans les semi-conducteurs ou dans le bois traité avec de l’arséniate de cuivre chromaté. Évidemment, certaines de ces nanoparticules métalliques pourraient faire partie de la géologie locale. Mais pas les nanoplastiques! Or les analyses ont aussi révélé des nanoparticules de polystyrène et de polypropylène. Ces contaminants pourraient aussi avoir été apportés par voie atmosphérique depuis le sud. Mais les concentrations sont 3 à 4 fois supérieures à celles des contaminations longues distances. 

« La pollution apportée par les dépôts atmosphériques de toute la Terre entière est négligeable par rapport à la source locale », soutient Julien Gigault. 

De plus, les concentrations décroissent en s’éloignant du site d’incinération. Il y a aussi une corrélation frappante entre la présence des nanoplastiques et des contaminants métalliques. « On pense que les plastiques et les suies carbonées seraient les transporteurs de nanoparticules d'oxyde métalliques », ajoute Julien Gigault. Pour reprendre l’expression en usage, ce faisceau d’indices pointe vers une contamination émanant de l’incinération des déchets.

Compléter le portrait de la contamination

Cette étude pionnière donne un avant-goût de la problématique des incinérateurs de l’Arctique, car les patrons de contamination étant similaires à Umiujaq et Ittoqqortoormiit, il est fort plausible que les autres communautés qui brûlent leurs déchets sommairement soient également concernées. Se pose alors la question de la contamination des écosystèmes, des ressources alimentaires et de l’eau potable. Les échantillonnages vont donc se poursuivre pour mieux documenter la nature de la pollution dans les sols, les eaux et les écosystèmes voisins des villages inuit. Julien Gigault s’est d’ailleurs joint à Stéphanie Guilherme, professeure au Département de génie civil et des eaux de l’Université Laval et chercheuse affiliée à l'INQ, qui mène des recherches sur la qualité de l’eau potable des communautés du Nunavik.

Une réflexion s’impose

Plus que des analyses, les populations locales veulent remédier à cette pollution de leur environnement. « Les gens veulent des solutions et sont proactifs », assure Julien Gigault, soulignant que déjà, la communauté de Kuujjuarapik dispose maintenant d’un site d’enfouissement technique en surélévation comme il en existe au sud et ne pratique plus l’incinération. Kuujjuarapik a cependant l’avantage de ne pas être situé en zone de pergélisol. 

Julien Gigault croit qu’une réflexion s’impose pour gérer les déchets et même en tirer profit. Il fait remarquer que les navires arrivent pleins et repartent vides alors qu’ils pourraient ramener les déchets au sud. « On le fait dans les bases antarctiques, on doit pouvoir le faire au Nunavik », dit-il. 

Les matières recyclables pourraient être triées et rapatriées au sud et les autres pourraient être brûlées avec une valorisation énergétique. Les matières organiques pourraient aussi être compostées pour développer des projets d’agriculture nordique.
C’est donc plus qu’un champ de recherche qui doit s’ouvrir.

Recommandation du chercheur

Il faut que tout le monde s’assoie ensemble, les gouvernements, les transporteurs, les communautés… pour trouver un mécanisme financier, économique et social pour gérer les déchets.

Pour aller plus loin

Gigault et al. (2024) Waste Combustion Releases Anthropogenic Nanomaterials in Indigenous Arctic. Communities Environ. Sci. Technol. 58, 34, 15170–15180
https://doi.org/10.1021/acs.est.4c02598
 


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