Contexte de la recherche en milieu nordique
Recherche et peuples autochtones
Longtemps, la recherche en contexte autochtone a été principalement le fait de chercheurs allochtones, qui en dictaient les conditions. Historiquement, la recherche se faisait dans un contexte colonial, sans collaboration avec les peuples concernés et sans validation et retour des résultats une fois terminée. C’est pourquoi, depuis quelques décennies, les peuples autochtones ont décrié ces méthodes, soulignant l’absence de bénéfices qu’ils pourraient en retirer. De plus, les peuples autochtones au Canada, avec d’autres, ont été les précurseurs de l’établissement de normes éthiques en recherche. Tel que le rappelle Nagy, « ainsi, au Canada, il est dorénavant impossible pour les chercheurs d’entreprendre des projets de recherche sans convenir de consultations, d’autorisations et de collaborations avec les communautés concernées ». Cette façon de faire canadienne ne fait cependant pas l’unanimité; certains chercheurs européens s’opposent à l’adoption d’une charte éthique spécifique à la recherche en sciences sociales dans l’Arctique. Il importe également de mentionner que
les chercheurs de certaines disciplines, notamment dans le domaine des sciences naturelles, ne sont pas habitués à traiter avec des êtres humains et ne savent pas comment réagir face aux Autochtones qui leur disent qu’ils ont été créés pour être les gardiens de la Terre-Mère et qu’à ce titre c’est à eux qu’il incombe de définir comment les recherches sur le territoire, sur les animaux ou les plantes doivent être définies.
L’élaboration, la mise en pratique, l’utilisation et l’institutionnalisation des protocoles de recherche en éthique autochtone sont ainsi valorisés dans un tel contexte.
Plusieurs peuples et organismes autochtones ont développé des protocoles de recherche qui permettent d’encadrer le travail en milieu autochtone et ainsi d’assurer le respect des normes éthiques de recherche. Ces outils viennent répondre à des préoccupations mentionnées par les groupes autochtones quant à la réalisation de la recherche chez eux.
Il est également primordial de prendre en compte les notions de savoirs « collectifs » (qui s’appliquent la plupart du temps en contexte autochtone) et non pas uniquement ceux désignés comme des savoirs « individuels » (qui peuvent mieux s’appliquer en contexte allochtone). De plus, en contexte autochtone, il est important de faire la distinction entre les « savoirs communs » généralement accessibles à tous; les «savoirs familiaux » qui circulent et se transmettent à l’intérieur des familles et les «savoirs privés ou secrets » connus de quelques personnes. Finalement, il ne suffit pas d’utiliser des termes en langue inuktitut ou autre pour affirmer que les savoirs inuits sont respectés.
Principes éthiques de la recherche
Propriété, contrôle, accès et possession des données
Les principes de propriété, de contrôle, d’accès et de possession des données et des informations (PCAP®) — (incluant les résultats) — doivent être considérés comme étant le fondement même de la recherche avec les peuples autochtones. Le Protocole de recherche des Premières Nations au Québec et au Labrador définit de façon détaillée ces quatre principes, en plus d’outiller le ou la chercheuse en formulant des questions claires qui permettent de vérifier si ces principes sont respectés.
Valeurs fondamentales : quelles sont-elles?
Des valeurs fondamentales, ancrées dans les cultures autochtones, doivent être prises en compte dans une démarche de recherche. À travers leur travail, les chercheurs, les étudiants et les organismes doivent démontrer leur engagement à l’égard de ces valeurs. Ces valeurs sont le respect, l’équité, la réciprocité, l’égalité et la transparence.
- Le « respect s’apparente plus à la reconnaissance et à l’appréciation des différences […] ». Le respect doit être présent tout au long du processus de recherche, que ce soit dans les premières étapes de prise de contact, dans la relation entre les communautés et le ou la chercheuse, et dans la diffusion des résultats. Un aspect particulier doit également être pris en compte, soit le respect de la terre et de l’environnement, ce qui s’inscrit directement dans les traditions nordiques.
- L’équité désigne l’appréciation de ce qui est dû à chacun. Autrement dit, cette valeur fait référence au partage de connaissances, du pouvoir, des bénéfices et des retombées avec les membres de la communauté.
- La réciprocité renvoie quant à elle à une relation mutuelle entre l’équipe de recherche et les communautés autochtones, dans laquelle les deux parties sont gagnantes. On constate alors une égalité entre les différents acteurs impliqués dans le processus de recherche. Cette égalité s’applique également aux savoirs et aux connaissances, c’est-à-dire que les savoirs occidentaux et les savoirs autochtones sont équivalents et complémentaires.
- La transparence s’illustre par le fait de laisser paraître la réalité toute entière. Les communautés autochtones s’attendent, de la part des chercheurs, que ceux-ci diffusent les informations concernant leur recherche de façon véridique, claire et complète.
Démarches proposées pour faire de la recherche en milieu nordique
Importance de l'engagement
S’engager dans une recherche en milieu nordique, c’est s’assurer de travailler en étroite collaboration avec les communautés, les gouvernements ou les organismes concernés, et ce, à toutes les étapes de la recherche. Un suivi constant est à privilégier, tout au long du processus. Plusieurs ouvrages soulignent ces deux aspects. D’abord, dans un document produit par le Gouvernement de la nation crie, il est clairement indiqué que toute recherche doit assurer la pleine participation des Cris. Cette recommandation est aussi inscrite au sein du Guidelines for Research in the Nunavik Region de la Société Makivik. Finalement, le Protocole de recherche des Premières Nations au Québec et au Labrador met l’accent sur la collaboration entre chercheurs et communautés autochtones en soulignant « […] l’importance pour les Premières Nations de participer et de collaborer de manière active à toutes les étapes d’une recherche menée dans leur milieu ». Il va sans dire, à la lumière de ces exemples, que, tant chez les Premières Nations que chez les Inuit, cet engagement de l’un envers l’autre dans la réalisation d’une recherche s’avère essentiel et assure ainsi l’accomplissement et le succès du projet de recherche.
La Société Makivik suggère pour sa part de diviser la recherche en différentes étapes et d’effectuer des retours auprès de la communauté à la suite de chacune de celles-ci, soit de l’élaboration du projet, en passant par la cueillette des données, l’analyse et la validation des résultats, jusqu’à la diffusion des résultats. Cela permet autant aux chercheurs qu’aux gens de la communauté de voir l’avancement de la recherche et d’apporter des ajustements en cours de route. La flexibilité est de mise de la part des deux parties.
Les chercheurs doivent également être conscients que ce processus impose un important fardeau aux communautés qui n’ont pas toujours la capacité et les ressources pour profiter adéquatement de cette collaboration. Les chercheurs doivent donc travailler pour minimiser ce poids tout en maintenant une collaboration efficace et utile.
Savoir-être en milieu nordique
Favoriser une approche basée sur la communauté (community-based approach) peut certainement aider les chercheurs à s’engager pleinement dans le milieu. Cette approche vise simplement, en tant que « nouvel arrivant », à prendre le temps de connaître les gens, de se présenter à eux et de démontrer de l’intérêt pour leurs réalités, tout cela dans l’optique de mieux comprendre leur culture.
Le ou la chercheuse doit s’assurer d’adopter une attitude appropriée et doit garder en tête qu’il est un « visiteur » en territoire autochtone et nordique. Plutôt que d’imposer ses façons de faire, il doit s’ouvrir à celles des communautés. Prendre le temps qu’il faut pour nouer des liens est un gage de succès, car le rythme de vie cyclique propre aux cultures autochtones doit être respecté.
L’honnêteté, l’ouverture d’esprit, la patience, l’écoute et la reconnaissance sont des attitudes à développer et à mettre en pratique lorsqu’un ou une chercheuse, un ou une étudiante et un organisme s’engagent auprès d’une communauté autochtone afin de réaliser une recherche.
Points de départ
La prise de contact est une étape cruciale qui doit être bien préparée par le chercheur. Avant de contacter qui que soit, effectuer une revue de la documentation scientifique sur le sujet de la recherche (incluant celle provenant des organismes autochtones) s’impose, voire suivre un cours d’introduction à propos des cultures autochtones. Cela permet au chercheur ou à la chercheuse de constater où s’inscrit son sujet dans le corpus déjà existant. Cela démontre également son sérieux. Cette revue de la documentation doit aussi prendre en compte le contexte social, politique et institutionnel au sein duquel la recherche s’insère. Elle devrait également inclure les différents protocoles de recherche déjà existants au sein du peuple autochtone concerné et permettre au chercheur ou à la chercheuse d’élaborer une stratégie de mise en oeuvre de ces protocoles. Le ou la chercheuse doit également être conscient que la documentation recensée provient en grande partie du monde scientifique occidental, ce qui est en soi un biais par rapport aux savoirs autochtones. La revue de la documentation se veut donc une première démarche scientifique, mais elle doit s’effectuer en complémentarité avec les savoirs et informations relatives aux peuples autochtones. L’adoption d’une attitude humble et prudente face à ses propres schèmes d’interprétation est bien utile à la mise en complémentarité des connaissances autochtones et des savoirs constitutifs du patrimoine scientifique occidental.
En plus de la revue de la documentation, une description du projet présentant diverses méthodologies de recherche est un atout important dans la préparation de ce premier contact. Cela permet de bien situer le sujet de recherche, les intentions du chercheur ou de la chercheuse et de définir l’espace éthique pour les discussions avec la communauté afin d’identifier ses besoins dans le cadre du projet de recherche. Ainsi, lorsque le ou la chercheuse contactera le gouvernement local ou régional, le conseil de bande, la municipalité ou un organisme de la communauté ou de la région, il devra faire preuve d’ouverture et de volonté de coconstruire les objectifs et la méthodologie de recherche à privilégier selon le contexte, en plus des connaissances préalables qu’il aura rassemblées au cours de sa recherche préliminaire. Bien que ce ne soit pas toujours le cas et que les fonds de recherche ne permettent pas toujours de le faire, il est conseillé que tout étudiant (de 1er, de 2e ou, dans certains cas, de 3e cycle provenant d’universités de toutes les régions du monde) soit accompagné de son directeur (ou codirecteur) de recherche lors de la ou des premières rencontres avec les instances autochtones concernées. Lors de ses premiers échanges avec la communauté, le ou la chercheuse doit également mentionner les sources de financement de son projet et discuter de la confidentialité de ses données.
Ces premières étapes accomplies, le ou la chercheuse a le devoir de valider son protocole de recherche avec les partenaires de la recherche et de le faire analyser par un Comité d’éthique de la recherche (CÉR).
Un CÉR est plus précisément une instance créée afin d’évaluer l’acceptabilité d’un projet de recherche qui lui est soumis. Il est composé de personnes possédant des expertises diversifiées (connaissances écologiques traditionnelles, savoir-être et savoir-faire, savoirs universitaires et scientifiques, représentants locaux, communautaires et politiques, et toute autre personne dont l’expertise est jugée pertinente en contexte autochtone).
On retrouve des CÉR notamment dans les milieux universitaires et une structure similaire chez quelques organismes autochtones (tels que le Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations). De même, certaines communautés autochtones ont aussi leurs propres lignes directrices et/ou comité d’éthique, tel Mashteuiatsh et Kahnawake. Il importe donc au chercheur ou à la chercheuse de tenir compte des instances existantes sur le territoire concerné tout en respectant les exigences règlementaires de l’Énoncé de politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains. Lorsque le projet n’implique pas de sujets humains, les chercheurs n’ont généralement pas à demander de certificat éthique de leur université. Toutefois, si leur projet a lieu sur le territoire d’une nation autochtone, même si aucun sujet humain n’est interrogé, le ou la chercheuse devrait demander l’appui des communautés, gouvernements ou organisations autochtones présents avant de débuter leur projet.
Méthodologie
D’abord, le ou la chercheuse, de concert avec les partenaires autochtones, doit s’assurer de « choisir une méthodologie de recherche respectueuse des conditions prescrites par la communauté autochtone en tenant compte des valeurs et des savoirs ». La méthodologie privilégiée doit ensuite être présentée à la communauté.
Plusieurs méthodologies de recherche existent; une méthodologie ne prédomine pas sur les autres. Cependant, l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador et l’Association de femmes autochtones du Québec suggèrent l’utilisation de la recherche active participative (RAP), méthode privilégiée en contexte autochtone pour son caractère collaboratif. La RAP se définit comme étant une approche coconstructiviste basée sur un partenariat entre peuples autochtones et chercheurs.
La RAP s’est construite sur la mobilisation et le partage des connaissances, la responsabilité partagée du projet de recherche et l’engagement communautaire. La RAP a comme objectif de donner le pouvoir aux communautés à travers la mobilisation et l’utilisation de leur propre expertise. Ce processus se fait avec l’implication et la collaboration de toutes les parties prenantes.
Une fois la cueillette de données et l’analyse terminées, l’interprétation des résultats doit être validée auprès de la communauté concernée avant toute publication. Tel que l’explique Schnarch, « [as] with academic review, a First Nations review process is generally intended to ensure quality of the work, its relevance, and the appropriateness of interpretation. The review should be viewed as an opportunity rather than a threat. The definition of peer needs to be broadened ». La validation des résultats doit alors être vue comme une opportunité d’échange où plusieurs interprétations des mêmes résultats peuvent être valables et coexister, par exemple lors de la tenue de groupes de discussion. S’il y a divergence dans l’analyse des résultats, les chercheurs doivent inclure le point de vue des peuples autochtones dans leurs publications. À tout moment, les communautés et les intervenants concernés doivent avoir la possibilité de se dissocier des résultats ou de l’analyse réalisée par les chercheurs.
Cette validation peut se faire de plusieurs façons, par la participation de chercheurs autochtones à l’analyse des résultats, par la consultation des communautés concernées, par l’envoie des résultats préliminaires et la consultation des personnes interrogées, etc. Dans tous les cas, il faut s’assurer que les méthodes de communication utilisées par le ou la chercheuse soient appropriées et compatibles avec la communauté ou l’organisme (langues d’usage, outils visuels, documents écrits, vulgarisation, etc.). Entre autres, il est important que les chercheurs ne généralisent pas de manière excessive leurs résultats afin d’éviter que les chercheurs attribuent les propos de quelques participants à l’ensemble de la communauté ou de la nation.
Résultats de la recherche
Trop longtemps, les communautés autochtones ont accueilli des chercheurs sans pouvoir participer aux projets de recherche et sans recevoir de bénéfices à la fin du travail accompli. À présent, les résultats de la recherche, dans l’optique d’une démarche collaborative, se doivent d’être validés par les communautés concernées, mais également d’être bénéfiques pour ces dernières. Les chercheurs doivent transmettre leurs résultats aux communautés concernées, mais également s’assurer que la recherche serve à la mobilisation et au renforcement des communautés.
Ces résultats doivent être diffusés de façon appropriée en contexte nordique. Pour ce faire, les chercheurs doivent prendre en compte les différentes méthodes de communication utilisées par les communautés autochtones. L’Inuit Tapiriit Kanatami et le Nunavut Research Institute énumèrent plusieurs méthodes, en soulignant l’importance d’établir une stratégie de communication pour la diffusion des résultats dont, entre autres, l’utilisation des émissions de radio locales et régionales, la création d’affiches, la création de brochures ou de bulletins de nouvelles, l’utilisation des réseaux sociaux et la publication de résumés du projet dans les langues appropriées.
Il est donc primordial que les chercheurs s’assurent de prévoir les fonds et le temps nécessaire à la diffusion de leurs résultats de recherche. Ils doivent pouvoir traduire leurs documents et les transmettre de manière vulgarisée aux communautés concernées.