Publié le 26 juin 2025 Dans Actualité scientifique
Résilience au stress et dépression : un pas vers des stratégies de traitements personnalisés

Un article de Valérie Levée, journaliste scientifique
Face au stress, certaines personnes deviennent anxieuses, voire déprimées, alors que d’autres sont résilientes. Connaitre les mécanismes biologiques sous-jacents à cette résilience pourrait mener à la découverte de nouveaux traitements de la dépression. C’est la piste de recherche de Caroline Ménard, professeure au Département de psychiatrie et neurosciences de l’Université Laval et chercheuse affiliée au centre de recherche CERVO du CIUSSS de la Capitale-Nationale. Elle traque les marqueurs de la résilience au stress dans le cerveau, le sang et jusque dans les intestins.
« L’objectif ultime est de faire de la médecine personnalisée en psychiatrie », souligne Caroline Ménard qui est aussi titulaire de la Chaire de recherche Sentinelle Nord en Neurobiologie du stress et de la résilience. Elle explique que le stress chronique induit une réponse inflammatoire qui circule dans le sang. Normalement, le cerveau est protégé de l’inflammation circulante par la barrière hématoencéphalique qui enveloppe les vaisseaux sanguins. Mais si cette barrière est fragilisée, les signaux inflammatoires peuvent passer dans le cerveau et inversement, des molécules reliées à l’altération de la barrière rejoignent la circulation sanguine, brisant ainsi l’homéostasie. Avec son équipe de recherche, Caroline Ménard a déjà identifié quelques-unes de ces molécules dans des échantillons sanguins de la Banque Signature, une banque de données biologiques et psychosociales de personnes atteintes de problèmes de santé mentale. « On a trouvé des marqueurs associés à la dépression majeure ou au trouble bipolaire et on pense que ces biomarqueurs sanguins sont une indication indirecte de la fragilité de la barrière du cerveau », explique Caroline Ménard. La barrière intestinale est, elle aussi, fragilisée chez les personnes qui vivent du stress et, fait important à souligner, les marqueurs ne sont pas les mêmes chez les hommes et les femmes.
Si les femmes et les hommes ne réagissent pas de la même façon au stress, il est possible qu’un antidépresseur qui marche pour certains ne fonctionnent pas pour d’autres, d’où l’importance d’identifier les signatures biologiques qui mèneront à l’élaboration de traitements personnalisés. La réponse au stress peut également dépendre du type de stress subit, de l’environnement, des normes socio-culturelles, etc. Les marqueurs de résilience envers la détresse psychologique identifiés chez les personnes qui vivent en milieu urbain à Montréal pourraient donc être différents de ceux des personnes des communautés nordiques à cause des enjeux qu’ils vivent notamment au niveau des changements climatiques.», explique Caroline Ménard.
Des indices de la résilience chez les souris
Avant de rechercher des marqueurs de la résilience chez les populations humaines, Caroline Ménard les cherche chez les souris. Divers protocoles permettent de stresser les souris, après quoi, les comportements sont testés et les tissus collectés pour être passés au crible sous toutes les coutures. « Plusieurs étudiants travaillent sur divers aspects de la neurobiologie du stress et de la résilience. L’un regarde le sang, un autre le cerveau, un autre l’intestin… On essaie de comprendre la résilience au stress par rapport à la vulnérabilité de façon holistique », décrit Caroline Ménard. Or, les souris résilientes montrent plusieurs adaptations physiologiques et comportementales.
Dans la barrière hématoencéphalique des souris résilientes, les astrocytes, des cellules en forme d’étoiles qui font le pont entre le cerveau et le sang, ont plus de récepteurs aux endocannabinoïdes. « Les endocannabinoïdes jouent un rôle au niveau du système immunitaire, mais aussi de la régulation de l’humeur, ils pourraient donc aider à promouvoir la résilience au stress », en conclut Caroline Ménard. De même, si après avoir fait subir un stress aux souris, on leur donne accès à une roue pour faire de l’exercice, elles ne vont pas toutes avoir le même comportement.
« Celles qui sont résilientes vont volontiers utiliser la roue alors que les plus déprimées l’éviteront. En leur donnant accès à de l’exercice physique, les souris augmentent naturellement le niveau des récepteurs aux cannabinoïdes sur leurs astrocytes ce qui les rend plus résilientes », décrit Caroline Ménard.
Ce point a déjà été vérifié, non pas chez les populations nordiques, mais sur des cerveaux provenant de la banque Douglas-Bell Canada. « On a pu vérifier que les personnes décédées par suicide avait une perte de récepteurs aux cannabinoïdes sur les astrocytes », poursuit la professeure. L’équipe a aussi montré que la barrière hématoencéphalique des souris vulnérables est plus perméable que celle des souris résilientes et que cette fragilité de la barrière est associée à un dérèglement du métabolisme des oméga 3. Une diète riche en oméga 3, inspirée de la diète des Inuit, pourrait donc favoriser la résilience au stress en optimisant les fonctions de la barrière du cerveau.
Un projet financé par Sentinelle Nord explore cette piste chez les souris, jeunes ou adolescentes, en amont d’une recherche plus approfondie chez les populations nordiques. L’équipe a utilisé deux scénarios pour soumettre les souris à un stress : séparer les souriceaux de leur mère pendant une brève période pour induire un stress en tout début de vie ou encore perturber la hiérarchie d’un groupe de souris adolescentes. Ces souris reçoivent une diète enrichie en oméga 3 et leur résilience au stress est évaluée à l’âge adulte.
« On veut voir si les oméga 3 reçus quand les souris étaient jeunes ont protégé leur barrière hématoencéphalique pour les rendre plus résilientes aux stress futurs », détaille Caroline Ménard.
L’étude est encore en cours, mais comme les recherches précédentes ont montré que certains marqueurs de stress identifiés chez les souris étaient aussi présents chez l’humain, Caroline Ménard espère éventuellement identifier des marqueurs, voire une signature biologique de la résilience au stress possiblement unique aux populations nordiques.
Quelques recommandations de Caroline Ménard
- Le financement est souvent dédié à la compréhension des troubles de l’humeur, mais il est primordial de financer la compréhension de la biologie de la résilience pour identifier des interventions préventives des troubles de l’humeur.
- Il faut tenir compte des différences environnementales et socio-culturelles et établir des partenariats pour identifier les signatures biologiques propres à chaque population, et transmettre les résultats de la recherche à ces communautés pour qu’elles en bénéficient le plus rapidement possible.
🔎 Pour aller plus loin
Dion-Albert, L., Cadoret, A., Doney, E., Kaufmann, F.N, Dudek, K.A., Daigle, B., Parise, L.F., Cathomas, F., Samba, N., Hudson, N., Lebel, M., Signature Consortium, Campbell, M., Turecki, G., Mechawar, N., et Menard, C. (2022). Vascular and blood-brain barrier-related changes underlie stress responses and resilience in female mice and depression in human tissue. Nature Communications, 13(1), article 164.
https://doi.org/10.1038/s41467-021-27604-x
Doney, E., Dion-Albert, L., Coulombe-Rozon, F., Osborne, N., Bernatchez, R., Paton, S.E.J, Kaufmann, F.N., Agomma, R.O., Solano, J.L., Gaumond, R., Dudek, K.A., Szyszkowicz, J.K., Cecile Lepage on behalf of Signature Consortium, Lebel, M., Doyen, A., Durand, A., Lavoie-Cardinal, F., Audet, M.-C., et Menard, C. (2023). Chronic Stress Exposure Alters the Gut Barrier: Sex-Specific Effects on Microbiota and Jejunum Tight Junctions. Biological Psychiatry Global Open Science, 4(1), 213-228.
https://doi.org/10.1016/j.bpsgos.2023.04.007
Dudek, K.A., Paton, S.E.J, Binder, L.B., Collignon, A., Dion-Albert, L., Cadoret, A., Lebel, M., Lavoie, O., Bouchard, J., Kaufmann, F.N., Clavet-Fournier, V., Manca, C., Guzmán, M., Campbell, M., Turecki, G., Mechawar, N., Flamand, N., Lavoie-Cardinal, F., Silvestri, C., Di Marzo, V., et Menard, C. (2025). Astrocytic cannabinoid receptor 1 promotes resilience by dampening stress-induced blood-brain barrier alterations. Nature Neuroscience, 28(4), 766-782.
https://doi.org/10.1038/s41593-025-01891-9
Paton, S.E.J., Solano, J.L., Collignon, A., Richer, E., Coulombe-Rozon, F., Dion-Albert, L., Bandeira Binder, L., Dudek, K.A., Cadoret, A., Signature Consortium, Lebel, M., et Ménard, C. Environmental enrichment and physical exercise prevent stress-induced behavioral and blood-brain barrier alterations via Fgf2. BioRXiv
https://doi.org/10.1101/2023.11.08.566229.
Photo en couverture: Visualisation des cellules épithéliales de la barrière d’un intestin de souris (par Ellen Doney).
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