Publié le 18 décembre 2024 Dans Actualité scientifique

Actualité scientifique | Revisiter la maison inuite

« En 1958, à Salluit, tout le monde habitait en igloo », rappelle André Casault, professeur à l’École d’architecture de l’Université Laval. En l’espace de deux générations seulement, les Inuit ont dû apprendre à vivre dans des maisons immobiles importées du sud. 

« Les Inuits ont subi un clash culturel énorme en un temps extrêmement court », reprend André Casault. 

Pour tenter de rectifier le tir, l’équipe Habiter le Nord québécois de l’École d’architecture de l’Université Laval mène depuis 2015 une recherche collaborative pour comprendre la vision inuite de l’habitat.   

Du jour au lendemain et sans qu’ils aient leurs mots à dire, les Inuit ont dû s’accommoder de ces maisons en rupture avec leur mode de vie. L’équipe de recherche s’est alors donné un triple objectif. En plus de comprendre la vision inuite de l’habitat, il s’agit de restituer aux Inuit le pouvoir de concevoir leur habitat et d’initier les étudiants en architecture à la culture de ces communautés. « Nos travaux visent à encourager l’autonomie dans la prise de décision en design et en construction et favoriser l’ingéniosité locale », précise Geneviève Vachon, professeure à l’École d’architecture. Dans une démarche de recherche collaborative et de coproduction de connaissances, l’équipe est allée rencontrer des Inuit pour les questionner sur leurs maisons, traduire en dessins des concepts entendus, en vérifier la bonne compréhension et en proposer de nouveaux. Dans cette boucle itérative, les dessins deviennent un moyen de communication pour affiner les connaissances mutuelles. 

La maison et le territoire 

Si dans l’imagination populaire, l’habitat traditionnel inuit est un igloo, il ne faut pas oublier qu’en dehors de l’hiver, ils vivaient dans des tentes ou des petites habitations faites de pierres, de tourbe et de peaux. Ils construisaient leur habitat en fonction des saisons et des matériaux disponibles sur place. « Il y avait un fort lien entre la maison et le territoire alors qu’aujourd’hui, le village est vu en rupture avec le territoire », rapporte Myrtille Bayle qui a fait sa maitrise sur la signification de la maison selon les Inuit. Les maisons venues du sud sont coupées du territoire, sans espace de transition pour faire sas entre l’extérieur et l’intérieur comme le faisait le tunnel des igloos. Posées sur vérins, elles sont détachées du sol, ce qui contribue non seulement à leur instabilité, mais également au détachement avec le territoire. « La façon dont sont aménagés les maisons et les villages est très hermétique à la pensée inuite du territoire », estime également Pierre-Olivier Demeule qui a consacré son mémoire de maitrise aux cabanes que les Inuit construisent aujourd’hui. Il explique qu’à travers ces cabanes, les Inuit perpétuent leur lien avec le territoire. Elles servent de relais pour les activités traditionnelles de pêche et de chasse, même si aujourd’hui s’ajoutent d’autres activités modernes. « La majorité des Inuit parlent de cette envie d’aller à leur cabane parce qu’elle est le lien avec le territoire et la culture », rapporte Pierre-Olivier Demeule. Autour de la cabane, la vie s’organise avec un espace pour se rencontrer, pour jouer, pour couper la viande, faire sécher le poisson... 

De l’igloo à la cabane 

Comme a pu le constater Pierre-Olivier Demeule à Salluit, les cabanes reprennent l’organisation spatiale des igloos. Ceux-ci comportaient un tunnel, avec des espaces de stockages périphériques, un dôme avec une lampe à huile au centre et au fond, une plateforme de neige en guise de couchette. Parfois des dômes secondaires, reliés par des tunnels s’ajoutaient pour accueillir d’autres membres de la famille. « On retrouve la même séquence dans la cabane avec un vestibule, une pièce centrale avec une source de chaleur, un espace de cuisson et dans le fond la plateforme avec les couchettes », décrit Pierre-Olivier Demeule. Surtout, dit-il, « la cabane n’est pas un produit fini. Elle est toujours en transformation ». Les Inuit construisent et agrandissent leur cabane avec des matériaux récupérés perpétuant un savoir-faire culturel. Quand ils construisaient leur kayak avec du bois de grève, ils comprenaient les propriétés intrinsèques du bois et comment l’utiliser. « Ils entrent en dialogue avec le matériau. Aujourd'hui, comme ils ont des matériaux recyclés, pas toujours parfaits, ils doivent réinvestir cette capacité de trouver des solutions avec ce qu'ils ont », dépeint Pierre-Olivier Demeule. 

La maison adaptable 

Au village, les maisons n’ont plus rien de l’habitat vernaculaire. « Les Inuit savaient travailler avec le territoire et l’utiliser pour construire leur habitation. Ils pouvaient l’agrandir selon les besoins. Ce n’est plus le cas aujourd’hui », compare Myrtille Bayle. Il y avait cet espace commun où se regroupait la famille, où se racontaient des histoires de chasse, où les savoirs se transmettaient. Inversement, « les maisons ont plein de murs et pas de lieu pour se rassembler », commente Geneviève Vachon. « Et malgré le manque d’espaces adéquats dans les logements actuels, les Inuit continuent à perpétuer certaines activités traditionnelles comme découper et partager du gibier à même le sol. Cela témoigne qu’il faut repenser les logements au plus proche du mode de vie local », ajoute Myrtille Bayle. Le groupe de recherche examine comment revoir l’aménagement des maisons et apporter une meilleure flexibilité pour l’adapter en fonction des activités ou de la famille qui s’agrandit. Myrtille Blais donne l’exemple de la mezzanine qui permet de tenir des activités distinctes tout en conservant un lien social. Par contre, les corridors propices à l’isolement seraient peu souhaitables. 

Un Atlas pour construire mieux 

Toute cette recherche collaborative est consignée dans l’Atlas des idées pour planifier, habiter et construire en tenant compte des réalités, aspirations et valeurs Inuit. « C’est la somme de sept années de travail collaboratif et il examine l’habitat sous les angles du village, de la maison et de la construction », décrit Geneviève Vachon. Il récapitule les clés de compréhension de l’habitat inuit et propose des stratégies de changements et des innovations développées par les projets de recherche et de design des étudiants. Un recueil d’idées autant pour les Inuit que pour les gens du sud. 

Pour aller plus loin 

Atlas d’aide à la décision : https://www.doingthingsdifferently.ca/ 

Vidéothèque : https://www.youtube.com/c/HabiterleNordquebecois 

Publications numériques : https://issuu.com/hlnq.linq  

  • Bayle, M. (2023). Réflexions pour une architecture significative : univers symbolique et matériel de la maison chez les Inuit du Nunavik. Mémoire de maitrise, Université Laval, Québec. URI : http://hdl.handle.net/20.500.11794/113943 
  • Demeule, P.-O. (2021). Cabanes et campements du fjord de Salluit : Une lecture des savoir-faire locaux et des pratiques d'autoconstruction dans la toundra. Mémoire de maitrise, Université Laval. URI : http://hdl.handle.net/20.500.11794/71108 
  • Ikey, O. (2020). Speaking Out : Housing Issues for Youth in Nunavik. Études Inuit Studies 44 (1-2), pp. 261-267. https://doi.org/10.7202/1081805ar 
  • Mangiok, T. (2022). The right space for a bit of everything. Habiter le Nord Québécois. https://www.youtube.com/watch?v=cjfKmmhBAgw 
  • Snowball, H. & McDonald, M.-P. (2020). Protecting Nunavik’s Cultural Landscape. Revue ARQ Architecture and design Québec, 190 : 11-15. https://issuu.com/hlnq.linq/docs/arq190-habiterlenord 
  • Vachon, G., Avarello, M., Landry, J. & St-Jean, L. (2021). Territorialities and Urbanities Transform: A Scenario-Based Approach to Local Planning and Decision Making in Inukjuak and Salluit, Nunavik. Études Inuit Studies 44 (1-2), pp. 207-236. https://doi.org/10.7202/1081803ar 

 

 

 


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