Valérie Levée

Publié le 31 mars 2022 Dans Actualité scientifique

Le Code Polaire pour naviguer dans les glaces

Un article de Valérie Levée, journaliste scientifique

La navigation dans les glaces comporte de nombreux risques autant pour la sécurité de l’équipage et de la cargaison que pour les écosystèmes. Or avant 2017, il n’y avait pas de réglementation internationale sur la navigation en eaux couvertes par les glaces. En 2017, le Code Polaire a partiellement comblé cette lacune. Les États doivent donc transposer ce Code dans leur propre législation. Kristin Bartenstein, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval, a obtenu une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) pour étudier la répercussion du Code Polaire sur le droit canadien.

La navigation en mer est notamment règlementée par deux conventions de l’Organisation maritime internationale (OMI), MARPOL pour la pollution marine et SOLAS pour la sécurité en mer. En vertu de ces conventions, les États ont la responsabilité d'assurer que les navires qui battent leur pavillon sont sécuritaires quand ils prennent la mer et qu'ils ne mettent pas en danger le milieu marin. Mais ces conventions ne prenaient pas en compte les spécificités de la navigation en eaux couvertes par les glaces. Or naviguer dans le froid et à travers la glace nécessite des équipements adaptés et des compétences particulières, d’autant plus que les milieux polaires sont fragiles et vulnérables à la pollution. Les échouages de l’Exxon Valdez au large de l’Alaska et du Bahia Paraiso en Antarctique l’ont dramatiquement démontré. C’est pourquoi l’OMI, qui réunit les États membres de l’organisation, mais aussi des représentants de l’industrie de la navigation et des organisations non gouvernementales, a pris la décision d’élaborer le Code Polaire qui renforce les exigences de sécurité et de protection de l’environnement pour la navigation en eaux polaires

 Après une vingtaine d’années de négociations, le Code Polaire est entré en vigueur en 2017 et les états du pavillon doivent le transposer dans leur droit interne et l’appliquer à leurs navires. « Le Code Polaire est un outil juridique universel qui a comme objectif d’unifier les normes en matière de sécurité de la navigation arctique en proposant notamment un modèle d’évaluation des capacités d’un bâtiment avant qu’il n’entre dans les eaux arctiques ou antarctiques », précise Frédéric Lasserre, professeur au Département de géographie de l’Université Laval et qui participe au projet de recherche sur le Code Polaire.

En 2018, le Canada a aligné son droit interne sur le Code Polaire en édictant le Règlement sur la sécurité de la navigation et la prévention de la pollution dans l’Arctique. Depuis, les navires canadiens doivent respecter les règles du Code Polaire lorsqu’ils naviguent dans les eaux polaires et les navires étrangers doivent respecter les règles du Code Polaire lorsqu’ils naviguent dans les eaux arctiques canadiennes. 
 
Une double réglementation
Mais en vertu de l’article 234 de la Convention des Nation Unies sur le droit de la mer, les États circumpolaires, dont le Canada, pouvaient déjà réglementer la navigation dans leurs eaux recouvertes de glace et soumettre tout navire, quelle que soit sa nationalité, à cette règlementation. « Le Canada, en tant qu’État côtier de l'Arctique avait déjà un régime en place applicable aux navires qui passaient dans ses eaux arctiques », relate Kristin Bartenstein. 
Avec ses collègues, elle examine comment s’articulent la compétence unilatérale du Canada en vertu de l’article 234 et le nouveau Code Polaire. « On voulait voir quelle était la répercussion de l'arrivée du Code Polaire sur la compétence unilatérale du Canada et des autres États côtiers », explique Kristin Bartenstein.

Durant les négociations à l’OMI, le Canada s’est impliqué activement avec l’objectif d’assurer que le nouveau régime international soit au moins aussi robuste que le régime canadien préexistant. L’objectif a non seulement été atteint, mais « le Canada a profité de l'entrée en vigueur du Code Polaire pour moderniser sa propre réglementation de la navigation dans les eaux arctiques et pour en resserrer certains éléments, dont notamment les rejets des eaux usées », indique Kristin Bartenstein. 

Le Code Polaire ne règlemente cependant pas tous les aspects de la navigation polaire et des négociations se poursuivent actuellement à l’OMI.

« Le Code Polaire ne fait pas disparaître la compétence unilatérale du Canada qui pourrait donc encore s’en servir s’il trouve que la réglementation internationale n’est pas assez stricte », estime Kristin Bartenstein.

Avec des collègues juristes, historiens, politologues, anthropologues, géographes et biologistes, Kristin Bartenstein a élargi la réflexion pour étudier plus largement les enjeux contemporains soulevés par la navigation dans l’Arctique canadien et les réponses juridiques possibles. Elle donne l’exemple de l’activité des brise-glace, non réglementée par le Code Polaire, et qui fractionne des habitats et affecte les milieux de vie des communautés. « Une question qui se pose est de savoir si le Canada aurait la compétence de réglementer ces activités de brise-glace et comment les besoins de la navigations pourraient être réconciliés avec les besoins de la protection du milieu marin », détaille-t-elle. 
Les résultats de cette réflexion sur le Code Polaire et ses répercussions sur le droit canadien font l’objet d’un livre au titre provisoire « Arctic shipping at a Time of Change » à paraitre au début 2023 aux éditions Brill.

Chercheuse et chercheur dans l'article

chercheurs-code-polaire

1 - Kristin Bartenstein, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval, chercheuse affiliée à l'INQ

2 - Frédéric Lasserre, professeur au Département de géographie de l’Université Laval, chercheur affilié à l'INQ

Pour aller plus loin

\bullet Pic Pauline, Julie Babin, Frédéric Lasserre, Linyan Huang et Kristin Bartenstein (2021) « The Polar Code and Canada’s Regulations on Arctic Navigation: shipping companies’ perceptions of the new legal environment », The Polar Journal 11 (1), 95-117. 
https://doi.org/10.1080/2154896X.2021.1889838

\bullet Bartenstein, Kristin et Aldo Chircop (2020) « Chapter 18: Polar Shipping Law » dans K. Scott and D. VanderZwaag, Research Handbook on Polar Law, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 2020, 370-389.
https://www.e-elgar.com/shop/usd/catalog/product/view/id/16700/s/research-handbook-on-polar-law-9781788119580/

\bullet Bartenstein, Kristin (2019) « Between the Polar Code and Article 234: The Balance in Canada’s Arctic Shipping Safety and Pollution Prevention Regulations », Ocean Development and International Law 50 (4), 335-362.
https://doi.org/10.1080/00908320.2019.1617932

\bullet Bartenstein, Kristin et Suzanne Lalonde (2019) « Shipping in the Canadian and Russian Arctic: Domestic Legal Responses to the Polar Code » dans F. Lasserre and O. Faury, Shipping in the Arctic: Climate Change, Commercial Traffic and Port Development, New York, Routledge, 137-156.
https://www.routledge.com/Arctic-Shipping-Climate-Change-Commercial-Traffic-and-Port-Development/Lasserre-Faury/p/book/9781351037464

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