Publié le 26 juin 2024 Dans Actualité scientifique

Eau : surveiller les réservoirs

Un article de Valérie Levée, journaliste scientifique

Au sud du Québec, nous ouvrons le robinet d’un geste machinal et nous regardons les eaux usées partir à l’évier sans nous poser de questions. Il en est tout autrement au Nunavik où le pergélisol empêche la construction de réseaux d’aqueduc et d’égout. À la maison, se posent des questions sur la gestion de l’eau potable, mais aussi sur sa qualité, comme l’étudie Stéphanie Guilherme, professeure au Département de génie civil et de génie des eaux de l’Université Laval et chercheuse affiliée à l'Institut nordique du Québec.

Chaque village du Nunavik dispose bien d’une station de production d’eau potable, mais celle-ci est distribuée par camion-citerne qui remplit un réservoir à chaque maison. « À la maison, il y a un robinet, mais l’accès à l’eau dépend de la capacité du réservoir et de la fréquence de remplissage », précise Stéphanie Guilherme. Le réservoir est donc muni d’un indicateur qui prévient quand il est presque vide.
Mais il y a un autre réservoir à surveiller, celui des eaux usées qui, elles aussi, sont collectées par camion et acheminées pour être traitées dans un étang aéré à la sortie du village. Ce réservoir est aussi équipé d’une alarme qui indique quand il est presque plein afin d’appeler le camion-citerne qui viendra le vider. Or pour ne pas ajouter davantage d’eaux usées, cette alarme bloque aussi la pompe du réservoir d’eau potable. « C’est une double gestion. Il faut surveiller le réservoir d’eau potable et celui d’eau usée », poursuit Stéphanie Guilherme.

Cette gestion a des conséquences sur la charge mentale et l’organisation des tâches domestiques. Par exemple, « il faut se poser la question de savoir s’il y a assez d’eau pour faire le lavage et prendre la douche », illustre Stéphanie Guilherme. Éventuellement, il faut limiter les chasses d’eau, reporter la vaisselle, voire la douche.
Les Inuit ont cependant la possibilité d’aller eux-mêmes chercher de l’eau à la station de production d’eau potable et dans certains villages, ils ont gardé l’habitude d’aller chercher de l’eau à une source naturelle. Dans ce dernier cas, ce n’est pas nécessairement par manque d’eau, mais plutôt par préférence parce que l’eau du robinet peut avoir un goût de clore ou par crainte qu’elle ne soit pas saine.

La qualité de l’eau à la maison

Les craintes sur la qualité de l’eau du robinet sont en effet légitimes, car si la qualité de l’eau est suivie à la station, elle ne l’est pas lors de la distribution ni dans les maisons. 

« En vertu de la réglementation, les villages font un suivi à l’usine de production d’eau potable. Toutes les semaines, un opérateur doit vérifier la qualité microbiologique donc il vérifie qu'il n'y a pas de coliformes dans l'eau de son usine, l'eau qui est traitée et qui va être distribuée. Mais une fois que l'eau rentre dans le camion-citerne, on n’a plus de suivi de la qualité de l'eau. Il n'y a pas d'obligation réglementaire d’échantillonner l’eau dans les réservoirs particuliers, donc on a très peu ou pas de données sur la qualité de l’eau à la maison », décrit Stéphanie Guilherme. 

Or, l’eau stagne dans les réservoirs plusieurs jours et ceux-ci ne sont lavés que tous les deux ans. Elle a donc entrepris un projet de recherche avec l’Office d’Habitation du Nunavik et l’Administration régionale Kativik pour échantillonner l’eau avant et après le nettoyage des réservoirs et réaliser des analyses bactériologiques et chimiques de l’eau. Les réservoirs étant en plastique, il est notamment prévu de quantifier la présence de microplastiques dans l’eau. Cet été, des étudiants se rendront dans plusieurs villages et suivront les opérateurs pour échantillonner l’eau des réservoirs.

Protéger la source d’eau potable

En amont de l’usine de production d’eau potable, il y a la source et là aussi, le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection oblige les villages et municipalités, y compris au Nunavik, d’évaluer la vulnérabilité des prises d’eau potable. À cet effet, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques a produit le Guide de réalisation des analyses de la vulnérabilité des sources destinées à l’alimentation en eau potable au Québec. Mais ce guide illustre la démarche à suivre avec des exemples d‘évènements ou d’activités susceptibles de contaminer l’eau présents au sud de la province qui ne sont pas adaptés au Nunavik. Pour aider les villages du Nunavik à identifier les activités qui pourraient contaminer leur source d’eau potable, Stéphanie Guilherme et son équipe de recherche ont produit un guide avec des exemples d’activités typiques du Nord comme la présence d’un réservoir d’huile de chauffage ou le passage de véhicules tout-terrains ou le passage de caribous à proximité de la source.
Mais préserver la source ne suffira peut-être pas, car la population du Nunavik grossit et avec elle, la demande en eau potable augmente. C’est pourquoi avec l’Administration régionale Kativik, Stéphanie Guilherme s’emploie aussi à identifier de nouvelles sources d’eau potable.


Quelques lectures pour en savoir plus

Cassivi, A., Carabin, A., Dorea, C., Rodriguez, Manuel J., Guilherme, S. (2024). Domestic access to water in a decentralized truck-to-cistern system: a case study in the Northern Village of Kangiqsualujjuaq, Nunavik (Canada). J Water Health, 22(5):797-810
https://doi.org/10.2166/wh.2024.246

Cassivi, A., Covey, A., Rodriguez, M., Guilherme, S. (2023). Towards universal access to domestic water: A scoping review on water security in the Arctic. Journal of Environmental Health Science and Engineering, 247, 114060
https://doi.org/10.1016/j.ijheh.2022.114060


Housing and drinking water – Qanuilirpitaa? 2017 Nunavik Inuit Health Survey, Nunavik Regional Board of Health and Social Services/Institut national de santé publique du Québec– 2020
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1969610/infrastructures-municipales-kativik-eau-gestion


Photos : courtoisie de Stéphanie Guilherme


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