Valérie Levée

Publié le 14 février 2023 Dans Actualité scientifique

Un physicien en canot dans la glace

Un article de Valérie Levée, journaliste scientifique

Si vous voyez Dany Dumont canoter parmi les glaces, ce n’est pas seulement pour l’aventure sportive. C’est aussi pour la science, lui qui a fait de la glace de mer son objet d’étude.

Le long des côtes nordiques, entre la banquise et l’eau libre, il existe une discontinuité où la glace danse avec la mer. C’est la marge glaciaire, une zone hétérogène constituée de blocs de glace allant des minuscules cristaux de frasil aux plaques de quelques dizaines de mètres de diamètre, le tout balloté par les vagues. C’est le laboratoire de Dany Dumont, professeur à l’Institut des sciences de la mer à l’Université du Québec à Rimouski.

« La marge glaciaire est la zone d'interaction entre les vagues formées dans l'océan et la banquise. La glace dérive avec les mouvements induits par les vagues jusqu'à rencontrer de la glace déjà consolidée ou la côte », explique le physicien qui étudie l’effet des vagues sur la dynamique de la banquise.

Si la mer est calme, la glace se forme en une couche très mince, mais dès qu’un clapotis agite la mer, le frasil s’agglomère en petites plaques. Et si le vent forcit et que les vagues se creusent, des mouvements de turbulences font tourbillonner le frasil. « Si les vagues ne sont pas très fortes, la zone de transition ne sera pas très étendue. Dans l'Antarctique et l'Atlantique Nord, de grandes tempêtes peuvent affecter la glace sur des dizaines ou des centaines de kilomètres », décrit Dany Dumont.  

Les vagues se propagent dans la marge glaciaire qu’il faut imaginer comme une nappe qui ondule, chargée de son frasil, ses glaçons et ses blocs. Mais en traversant la glace, les vagues rencontrent de la résistance et leur énergie cinétique se dissipe. « Les courtes vagues s’atténuent rapidement alors que les plus longues persistent plus longtemps », précise Dany Dumont. De leur côté, les blocs de glace absorbent l’énergie des vagues parfois au risque de se rompre. La glace possède une certaine élasticité et peut se déformer, mais si la flexion subie dépasse le point de rupture, elle se brise. 

Dans d’autres cas, les vagues se heurtent à de gros blocs de glace bien solides et se réfléchissent comme elles le feraient sur la coque d’un navire. 

Pour ajouter à la complexité de cette dynamique, si les vagues poussent les glaces jusqu’à les empiler, il se crée en contrepartie des zones libres de glaces. Les échanges entre l’océan et l’atmosphère s’en trouvent modifiés, car si la glace réfléchit la chaleur, l’eau l’absorbe. 

C’est pour comprendre toute cette complexité que Dany Dumont, spécialiste de la physique de la banquise, s’est associé à Peter Sutherland chercheur au Laboratoire d’océanographie physique et spatiale de l’Ifremer, à Brest, et spécialiste de la turbulence et des vagues. 

En canot sur la glace 

« On ne peut pas étudier tous ces phénomènes en laboratoire parce qu’il est difficile de former de la glace de mer en laboratoire, mais aussi parce que les observations faites dans un petit bassin ne pourraient pas toutes être extrapolées à grande échelle », commente Dany Dumont. Pour lui, aller sur le terrain est donc synonyme d’aller dans la marge glaciaire et c’est dans une anse du parc national du Bic qu’il a établi son laboratoire.  

Il a commencé par installer une caméra au sommet du pic Champlain avec une prise d’image toutes les 2 secondes pour visualiser le mouvement des glaces. Mais pour mesurer les propriétés physiques des vagues, il faut aller sur place. « On se rend sur la banquise en canot, une embarcation de huit mètres de long qui permet de naviguer dans tous types de paysages de glace. On installe ensuite des accéléromètres sur les blocs de glaces et enregistrent les mouvements induits par les vagues », raconte Dany Dumont. Il pose aussi des instruments acoustiques sous l’eau pour quantifier la part d’énergie dissipée par la turbulence sous la glace. « On sait que l’énergie des vagues s’atténue, mais on ne sait pas quelle part est dissipée avec la déformation ou la rupture de la glace ou par la turbulence dans l’eau ou même par d’autres mécanismes », précise-t-il.  

Les drones complètent la prise d’observations. L’analyse des images permet de reconstruire la propagation des vagues, de calculer des vitesses de déplacement des blocs de glace et même les mouvements verticaux lorsque deux drones prennent des images en stéréoscopie. 

Chaque hiver, il passe quelques semaines au Bic avec son équipe de recherche et des volontaires enthousiastes pour trotter sur la glace et patauger dans le frasil. « Il faut s'entourer de collaborateurs qui n'ont pas froid aux yeux. Dans la soupe de glace, on ne peut pas pagayer et on ne peut pas non plus s'appuyer fermement sur les blocs de glace donc il faut trotter avec nos jambes pour faire avancer le canot, raconte Dany Dumont. C'est exigeant, mais c’est un bonheur incroyable de se retrouver sur la banquise. Le canot à glace, c'est la partie magique. Cela me fait un grand bien chaque année quand février arrive. Je reviens de ce terrain complètement énergisé ». 

Mieux prédire la formation de la glace 

Dany Dumont étudie la marge glaciaire depuis 2009 et a pu constater combien les vagues peuvent imposer une force majeure de la transformation de la glace. Pourtant, cette force n’est pas prise en compte dans les modèles de prévision des glaces. « Les modèles intègrent la force des vents et des courants, mais pas celle des vagues. On essaie de la quantifier pour améliorer les modèles », dit Dany Dumont. Or connaitre l’état de la glace importe dans de nos nombreux domaines d’activités incluant la navigation, la protection des infrastructures et des berges face à l’érosion côtière, mais aussi sur la mobilité et la sécurité dans les régions nordiques où la glace constitue un véritable territoire. 

Photo du terrain envoyées par le chercheur Dany Dumont.

Pour aller plus loin 

  • Dumas-Lefebvre, E. and Dumont, D. (2021). Aerial observations of sea ice break-up by ship waves. The Cryosphere Discuss, [preprint] 

https://doi.org/10.5194/tc-2021-328 

  • Dumont D. (2022). Marginal ice zone dynamics: history, definitions and research perspectives. Philosophical Transactions of the Royal Society, A 380: 20210253 

https://doi.org/10.1098/rsta.2021.0253 

  • Sutherland P. and Dumont, D. (2018). Marginal ice zone thickness and extent due to wave radiation stress. Journal of physical oceanography, 48: 1885-1901 

https://doi.org/10.1175/JPO-D-17-0167.1 

  • Dumont, D. A. Kohout, A, and Bertino, L. (2011). A wave‐based model for the marginal ice zone including a floe breaking parameterization. Journal of geophysical research, 116: C04001  

https://doi.org/10.1029/2010JC006682

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